Principes d’économie solidaire

PRINCIPES DE L’ÉCONOMIE SOLIDAIRE

Qu’est-ce qu’on entend par « économie solidaire » ?

Le domaine de l’économie solidaire fournit un cadre d’organisation aux personnes intéressées à s’engager dans des pratiques d’interdépendance et de libération collective dans le cadre des activités économiques auxquelles elles ont recours pour répondre à leurs besoins. L’économie solidaire repose sur des valeurs communes : la coopération, la démocratie, la justice sociale et raciale, la durabilité environnementale et l’aide mutuelle. Les notions d’interdépendance et de respect sont au cœur de ces valeurs.

Les économies solidaires sont transformatrices — elles cherchent à répondre aux besoins matériels des individus en redistribuant le pouvoir et les ressources aux personnes qui ont le plus souffert de la suprématie blanche, du colonialisme d’occupation, du patriarcat, du capacitisme et du capitalisme. Au-delà des gestes symboliques, les organisations d’économie solidaire agissent concrètement sur les terrains du logement, de l’alimentation, de l’éducation, de la culture et des autres secteurs liés aux besoins de base des individus. Elles confrontent les pouvoirs systémiques fondés sur l’individualisme, le profit et la propriété privée pour revendiquer des avenues d’épanouissement accessibles pour toutes et tous.

Issues des mouvements sociaux, les économies solidaires se basent sur trois stratégies-clés de changement social : la transformation personnelle, l’élaboration d’institutions alternatives et la remise en question des institutions dominantes. L’élaboration de mouvements d’économie solidaire exige de bâtir des réseaux, des fédérations et des coalitions qui en endossent les principes et pratiques. Voilà comment le mouvement peut réellement gagner en puissance.

Sans mouvement commun au sein duquel tisser des liens solidaires, aucune activité organisationnelle ni aucun outil ou modèle ne peuvent être considérés comme appartenant à l’économie solidaire.

Circle divided into 5 slices with a circle in the middle that reads Solidarity Economy. At the top is a header that reads Common Solidarity Economy Tools. Each slice has a header and then examples of solidarity economy tools underneath it. Slice 1 reads Creation: Land/wisdom and Knowledge/Language/Culture/Climate. Slice 2 reads Production: community gardens/worker cooperatives/producer cooperatives/collective farms. Slice 3 reads Exchange/Transfer: sliding scale pricing/time banks/barter/alternative currencies/mutual aid/giving. Slide 4 reads Consumption/Use: consumer cooperatives/housing cooperatives/food coops/buying clubs/community land trusts/cooperative energy/CSAs. reads Surplus Allocation: community development credit unions/cooperative loan funds/patronage dividends/susus/composting. The background of the diagram is a starry purple and green and blue sky and there is an hourglass with sifting sands on the right corner.

Sur les territoires de l’Ile de la Tortue, les instances d’économie solidaire comprennent notamment les coopératives d’épargne et de crédit, les coopératives de logement, les fiducies foncières communautaires, les coopératives de solidarité, les groupes d’achat, les programmes d’agriculture à soutien communautaire (ASC), les coopératives de travail, les réseaux de commerce équitable, les jardins communautaires, les susus, les réseaux de troc, les banques d’heures, et même des monnaies et logiciels libres. Parmi les stratégies de renforcement du mouvement, les coopératrices et coopérateurs font recours à la mise sur pied de les coopératrices et coopérateurs élaborent des chaines d’approvisionnement solidaires, des stratégies de partenariats financiers avec les institutions essentielles locales, des initiatives communes de marchandisation ou certification, etc. Elles et ils coordonnent des initiatives de soutien technique entre pairs, des espaces de partage de connaissances, des projets éducatifs, des formes financement coopératif démocratiques, des campagnes de rédaction de politiques, des forums et assemblées, des pratiques collaboratives d’élaboration budgétaire ainsi que des espaces de réflexion visionnaire et stratégique pour le renforcement du mouvement. L’ensemble de ces diverses activités participent à l’élaboration de puissants systèmes d’économie solidaire. Mais il ne s’agit là que d’énumérations sommaires : le secteur de l’économie solidaire comporte aussi énormément d’activités informelles ou invisibles aux yeux de l’État. (Si vous pensez à une activité informelle qui pourrait correspondre au mouvement de l’économie solidaire, on vous invite à la comparer à la liste des Principes pour identifier en quoi elle s’apparente aux pratiques de l’économie solidaire.) 

APPEL À L’ACTION POUR L’ÉLABORATION DE MOUVEMENTS D’ÉCONOMIE SOLIDAIRE

Pour arriver à réellement incarner les valeurs de l’économie solidaire, il faut transformer les liens sociaux, économiques, politiques et institutionnels. Trop souvent, les organisations d’économie solidaire (qu’il s’agisse de petites coopératives ou de grandes fédérations internationales) reproduisent des valeurs et relations colonialistes ou capitalistes au sein de leurs structures. La partie la plus difficile de notre travail est peut-être de savoir trouver l’équilibre entre l’utopie et la réalité, et de proposer des compromis pour le bienêtre immédiat des communautés, et ce, en visant toujours leur éventuelle libération. Les principes et pratiques de l’économie solidaire exigent aussi de nommer et d’honorer ces tensions, de s’ouvrir à la transformation et d’œuvrer collectivement dans une perspective anticapitaliste et décoloniale. Voilà les fondements d’une économie solidaire capable de générer des avenues libératrices pour toutes et tous.

Nous croyons qu’il est plus urgent que jamais d’élargir nos capacités collectives d’autogestion et de stimuler l’élaboration d’économies solidaires locales. Alors que le capitalisme, le colonialisme et la suprématie blanche poussent toutes les formes de vie humaines et non-humaines vers l’extinction, l’économie solidaire propose d’extraordinaires avenues transformatrices pour les relations, que ce soit vis-à-vis de soi-même, des autres ou des territoires. Nous n’avons plus les moyens de reproduire les mécanismes commerciaux toxiques du passé. Ensemble, nous pouvons mettre l’intelligence collective au service du changement, transformer nos relations collectives et nourrir un plus grand sentiment d’appartenance à ce mouvement commun.

S’il est vrai que de nombreuses activités sont associées à l’économie solidaire ou aux modèles coopératifs pour leur capacité à remplir des objectifs de grande portée, certains de ces « modèles fétiches » opèrent souvent en toute déconnexion avec le contexte et les objectifs initiaux du mouvement dont ils se réclament.Il faut reconnaitre que les modèles d’économie solidaire varient énormément selon les membres de l’équipe, les coordinatrices et coordonnateurs du projet, le degré de participation démocratique aux processus décisionnels, les pratiques de transparence et de réciprocité, et la participation des membres à des réseaux ou mouvements d’économie solidaire plus larges. 

En innovant, on peut bâtir un mouvement fidèle aux valeurs de l’économie solidaire, qui tient compte du niveau de rigueur et de discipline nécessaires à l’avènement de nouvelles possibilités d’avancement social. Pour y parvenir, il faut examiner, critiquer et renforcer les principes en vigueur dans le monde de l’économie solidaire et coopérative actuelle. Ce faisant, on doit aussi s’assurer que les économies interdépendantes en cours d’élaboration correspondent réellement aux valeurs de l’économie solidaire, et ce, à tous les égards. Comme l’explique adrienne maree brown :

Starry background in purple and green with text that reads A fractal is a never-ending pattern. Fractals are infinitely complex patterns that are self-similar across different scales. They are created by repeating a simple process over and over in an ongoing feedback loop. How we are at the small scale is how we are at the large scale. The patterns of the universe repeat at scale. There is a structural echo that suggests two things: one, that there are shapes and patterns fundamental to our universe, and two, that what we practice at a small scale can reverberate to the largest scale… Grace Lee Boggs articulated it in what might be the most-used quote of my life: “Transform yourself to transform the world.” This doesn’t mean to get lost in the self, but rather to see our own lives and work and relationships as a front line, a first place we can practice justice, liberation, and alignment with each other and the Planet. […]” — adrienne maree brown, Emergent Strategy

ÉCONOMIE SOCIALE VS ÉCONOMIE SOLIDAIRE

Le terme « économie solidaire » est arrivé aux États-Unis principalement par le biais de l’édition brésilienne du Forum Social Mondial. Partout en Amérique latine, les cultures et héritages autochtones sont profondément ancrés dans les pratiques d’économie solidaire. Qu’elle soit nommée ainsi ou autrement, l’économie solidaire existe au sein de diverses communautés depuis des millénaires. C’est avec humilité que nous nous engageons à en restaurer et revendiquer les pratiques, en tâchant d’éviter de romancer le passé ou de fétichiser les collectivités. Quel que soit notre héritage, le fait d’adhérer aux traditions, aux principes et aux pratiques de l’économie solidaire signifie aussi de participer aux mouvements sociaux qui agissent partout dans le monde pour défendre et protéger la vie terrestre.

Comme l’explique Michelle Williams, solidaire de l’économie sociale. L’économie sociale désigne les organisations à but non lucratif, les coopératives et les entreprises sociales qui « visent un changement social progressif et limité au sein de l’ordre social dominant, « en tentant d’atténuer les impacts des échecs du marché, du chômage et de la pauvreté. » L’économie solidaire porte plutôt une « vision sociale transformatrice ancrée dans des notions d’autogestion démocratique, de redistribution des richesses, de solidarité et de réciprocité ». Pour en apprendre davantage sur cette distinction, consultez l’essai de Michelle publié dans l’anthologie  The Solidarity Economy and Social Transformation (disponible en anglais seulement).

Pour vérifier si votre projet ou organisation correspond au mouvement de l’économie solidaire, tentez d’explorer en quoi ses principes et pratiques se manifestent dans vos activités. Si vous pensez plutôt être impliqué·e dans un projet d’économie sociale, mais que vous aimeriez entamer une transition vers l’économie solidaire, veuillez consulter les outils disponibles dans l’onglet « Engagements ». 

On rencontre aussi parfois le terme économie sociale et solidaire (ESS). Effectivement, certaines personnes et des organisations de diverses régions du monde emploient parfois les deux qualificatifs de façon synonyme. C’est d’ailleurs le cas chez certains de nos partenaires, comme RIPESS ou l’Organisation internationale du travail.Il s’agit néanmoins d’une distinction majeure dans les contextes étatsuniens et canadiens, où les mouvements d’économie solidaire risquent toujours d’être récupérés par l’élite, le complexe industriel non lucratif et les modèles néolibéraux d’entrepreneuriat social. Sans remettre en question les définitions internationales en vigueur dans les institutions comme RIPESS ou les Nations Unies, il s’agit d’une précision utile à l’élaboration d’un mouvement d’économie solidaire adapté à notre contexte local. Comme le disait Ethan Miller, notre rôle est de :

... reconnaitre et honorer la responsabilité de nous approprier les concepts de l’économie solidaire et d’en tirer nos propres notions. Il s’agit d’un processus ouvert, d’une invitation. Les concepts d’économie solidaire ne se restreignent pas à une seule tradition politique, puisque son essence et ses définitions sont en perpétuelle évolution, appelées à se transformer au fil des échanges et des débats entre les diverses parties prenantes. L’économie solidaire ne s’efforce pas de correspondre à une idéologie fixe : elle se définit dans le mouvement et le lien, cherchant continuellement à renouveler les occasions de renforcer ses principes et valeurs.

SE : Key Concepts and Issues, Ethan Miller 

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